Côte d’ivoire : L’assassin est au pouvoir, le défenseur du peuple à la Haye

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Massacre de Duékoué impliquant les Forces républicaines


Après que les Forces républicaines eurent pris le contrôle de Duékoué le 29 mars tôt le matin, des centaines d’habitants guérés ont été massacrés dans le quartier Carrefour de la ville. Human Rights Watch a interrogé huit femmes qui avaient été témoins des événements, ainsi que plusieurs personnes qui avaient aidé à compter ou à enterrer les corps dans les jours qui ont suivi le massacre.

Cinq témoins ont clairement identifié des Forces républicaines parmi les attaquants, affirmant qu’ils étaient arrivés dans le quartier dans des camions, des 4×4 et à pied, en tenue militaire. D’autres ont expliqué avoir vu deux milices pro-Ouattara opérer en étroite collaboration avec les Forces républicaines, commettant des exactions contre la population civile : un groupe tribal de défense civile dont les membres sont connus sous le nom de Dozos, généralement armés de fusils et identifiés par certains témoins comme portant leurs vêtements traditionnels ; et un groupe de miliciens burkinabés qui vivent dans la région et sont dirigés par un homme désigné principalement par son prénom, Amadé.

Le quartier Carrefour est depuis longtemps un point de concentration des milices pro-Gbagbo. Cependant, selon des témoins interrogés par Human Rights Watch, les forces pro-Ouattara y ont exécuté des hommes qui ne passaient pas pour être membres des milices, y compris des garçons et des vieillards. Selon des victimes et des témoins, les déclarations faites par des membres des forces pro-Ouattara qui participaient au massacre démontrent qu’ils visaient la population du quartier en vue d’infliger un châtiment collectif aux Guérés. Une femme de 39 ans a décrit le meurtre de son mari ainsi que des dizaines d’autres meurtres, son témoignage rejoignant celui de beaucoup d’autres témoins du massacre :

C’est mardi matin [29 mars], juste après que les rebelles [pro-Ouattara] eurent pris le contrôle de Duékoué, qu’ils sont arrivés dans le quartier et ont commencé à tirer partout. Ils devaient être 500 à faire une descente dans le quartier ce matin-là.

Ils sont allés de maison en maison et ont fait sortir les hommes pour les tuer. Deux d’entre eux ont enfoncé ma porte et sont entrés chez moi ; ils ont forcé mon mari à sortir. Plusieurs autres portaient une torche et ont mis le feu à la maison. Je suis sortie en criant derrière eux, et ils ont abattu mon mari à bout portant. C’était avec un grand fusil ; l’un d’eux l’a tiré dehors et l’autre l’a abattu. Alors que mon mari s’écroulait à cinq mètres de moi à peine, ils ont dit : « On est là pour tuer Gbagbo, mais parce que vous les Guérés avez voté Gbagbo, on va vous tuer, on va vous tuer jusqu’au dernier. »

Puis les rebelles sont passés à la maison voisine, me laissant là en train de crier. Mon mari, mon beau-frère, plusieurs cousins, ils ont tous été tués par les forces d’Alassane [Ouattara] ce jour-là.

La plupart des attaquants présents dans le quartier portaient un uniforme militaire – l’uniforme des Forces républicaines. Beaucoup avaient des foulards rouges. D’autres étaient des Dozos en vêtements traditionnels et certains étaient des jeunes dioulas venus avec des couteaux et des machettes. Les Forces républicaines sont arrivées les premières dans leurs voitures et à pied, et puis les autres ont suivi. Ils ont tué des gens désarmés partout. J’ai vu des gens à qui on tranchait la gorge avec des machettes et des couteaux, d’autres qui étaient abattus. On pouvait voir les taches de sang sur la route, le sang de tous ceux qui avaient été tués. Il y avait des corps partout. On pouvait juste voir les rangées de corps de ceux qu’ils avaient fait sortir et qu’ils avaient abattus.

La plupart des personnes tuées étaient des hommes, mais ils ont tué des garçons, comme les hommes, comme les vieillards. Je les ai vus tuer des garçons, sous mes yeux. L’un d’eux ne devait pas avoir plus de 10 ans et alors qu’ils le traînaient dehors, il m’a regardée l’air tellement effrayé et a dit : « Mama, s’il-te-plaît », et puis, ils l’ont abattu. Partout il y avait des gens abattus. Nos maris, nos frères, nos enfants ont tous été tués.

Une femme de Carrefour âgée de 29 ans a également confié que son mari avait été tué sous ses yeux parce qu’il était guéré, et qu’ensuite son frère de 15 ans avait été recruté de force :

Mardi [29 mars] aux alentours de 8 heures du matin, ils ont commencé à attaquer le quartier Carrefour où nous vivons. Ils ont dit aux femmes qu’elles pouvaient partir mais, « Nous sommes ici pour tuer vos maris ». Il y en avait plein, tout plein. Il y avait des Dozos, des hommes d’Amadé, des jeunes armés et en civil, et des soldats FN [Forces Nouvelles]. On s’était cachés chez nous, mon frère, mon mari et notre bébé.

Quand les forces sont arrivées pour dire, « Les femmes, partez, les hommes, on va vous tuer », chacun a cherché à s’enfuir s’il le pouvait. On a fait de même. À 13 heures, on s’était enfuis de chez nous et on était à pied sur le bord de la route principale, près du pont.

Il y avait plein de cadavres dans les rues, des forces pro-Ouattara partout au milieu du carnage. Pendant notre fuite, j’ai vu des gens qu’on abattait autour de nous avec des Kalaches, mais je ne pouvais pas faire attention, j’étais trop effrayée. Un 4×4 nous a dépassés ; l’un d’eux nous a vus et ils se sont rangés sur le côté. Ils ont garé le véhicule juste à côté de nous. Il y avait un dessin de serpent dessus.

Trois hommes sont descendus et ont stoppé mon mari. Ils ont dit : « On cherche des Guérés. Vous avez voté Gbagbo, on va vous tuer tous. Toi, tu es guéré. » Il a répondu : « Non, j’ai voté ADO [initiales de Ouattara] », mais ils ont dit : « Non, tu n’as pas voté pour lui, tu es guéré, donc tu as voté Gbagbo ». En fait, on n’a pas voté. Ils ont éloigné mon mari de moi. J’avais notre bébé de six mois dans les bras. Ils scandaient : « ADO ! ADO ! Vous êtes tous des Guérés, vous qui avez voté Gbabgo ! Vous n’avez pas voté ADO, on va vous tuer tous. Ce sont tous des Gbagbo ici. »

Puis ils ont tiré dans le ventre de mon mari. Tous les trois ont tiré sur lui avec leurs Kalaches, alors qu’il était juste devant eux. Ils ont regardé mon bébé de six mois et ont décidé que mon bébé ne pouvait pas leur être utile, mais mon frère de 15 ans était là aussi. Il criait, « Pourquoi vous l’avez tué ? » Tuer mon mari n’était pas suffisant ; ils ont pris mon petit frère pour en faire un soldat. Ils ont dit : « Aujourd’hui, tu vas devenir soldat. Nous allons t’emmener à Man. À Man, tu vas devenir soldat. » C’est à Man que se trouve leur base, ceux qui nous tirent dessus, les Forces Nouvelles. Ils l’ont emmené de force dans le camion. Il y avait au moins six autres jeunes garçons qui attendaient dedans, dont des enfants qui n’avaient pas l’air d’avoir plus de 10 ans. Je ne les ai pas reconnus, mais c’étaient des garçons en civil, la peur transparaissait sur leur visage. J’ai entendu les garçons qui imploraient le pardon quand les hommes sont revenus, mais les soldats n’ont pas répondu. Ils ont poussé mon frère à l’intérieur avec les autres garçons, sont remontés à bord et ont démarré. Je n’ai pas eu de nouvelles de mon petit frère depuis lors.

Les hommes qui ont tué mon mari étaient des militaires armés de couteaux, de machettes et de Kalaches. Ils portaient des gris-gris de guerriers [amulettes traditionnelles souvent portées par les combattants du nord], des jeans et en haut une tenue de camouflage militaire. C’étaient clairement des forces pro-Ouattara ; ils chantaient ADO. Les FN avaient pris la ville ce jour-là, avec les Dozos et les Burkinabés qui étaient dans les rues aussi, brûlant des choses et tuant des gens, allant de maison en maison. Pas une seule maison n’a été laissée indemne à Carrefour. Ils ont mis le feu aux maisons. Mon appartement n’existe plus ; il a été incendié comme les autres.

Un chef religieux de Duékoué qui s’est rendu dans le quartier Carrefour le 31 mars a confié à Human Rights Watch que des centaines de cadavres y gisaient encore, dont 13 dans une église appelée l’Église du Christianisme céleste. Parmi eux se trouvait le corps criblé de balles du pasteur, toujours dans ses habits religieux.

Des informations dignes de foi, émanant notamment des Nations Unies et des organisations humanitaires internationales travaillant dans la région, ont indiqué que les groupes pro-Gbagbo avaient tué des immigrés ouest-africains et des Ivoiriens du nord alors qu’ils se retiraient de Duékoué, mais Human Rights Watch n’a pas été en mesure de confirmer ces informations.

 


 

[1] Lors des interviews, les victimes et témoins ont utilisé différents termes pour désigner les forces armées régulières de Ouattara, notamment les « rebelles », les Forces Nouvelles (ou FN), les FAFN (Forces Armées des Forces Nouvelles) et les Forces républicaines de Côte d’Ivoire (FRCI) – nom officiel depuis la déclaration de Ouattara le 17 mars.

 

 

 

 

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