« Sans l’Afrique, la France n’aura pas d’histoire au XXIe siècle » – François Mitterrand, 1957
« Sans l’Afrique, la France descendra au rang de puissance du tiers [monde] » — Jacques Chirac, 2008
« La France, avec l’Europe, aimerait être encore plus impliquée dans la destinée [de l’Afrique]… » — François Hollande, 2013
« Je suis d’une génération qui ne dit pas aux Africains ce qu’ils doivent faire. » — Emmanuel Macron, 2017
Le grand espoir blanc de la France – Emmanuel Macron – se vendait récemment en Afrique. Il était plein de plaisanteries et de sourires. Cependant, tandis qu’était écrit « l’innocence de la jeunesse » partout sur le paquet, le produit qu’il contenait était la « démence sénile ». Peu importe l’âge de l’homme – la tentative française de diriger l’Afrique est une histoire éculée et stupide. Et l’homme – Macron – est un nouveau masque français éculé et stupide.
Le masque est tombé lors d’un forum public au Burkina Faso, lorsque l’armée française et sa présence en Afrique ont été mises en question par une jeune fille. En réponse, Macron a hystériquement dit à l’assistance locale qu’ils devraient applaudir les soldats français dans les rues africaines.
Le problème était que la veille, un habitant local – au lieu d’applaudir – avait lancé une grenade à main sur des soldats français. Le lendemain, quelques autres locaux ont appelé en criant à la fin du colonialisme. La militarisation de la politique française en Afrique commence à sentir l’occupation pourrie.
Mais quand en a-t-il été autrement ? Depuis qu’elle a commencé à occuper l’Afrique au XIXe siècle, la France n’a pas attendu autre chose que des applaudissements. Le paquet, au commencement de cette longue guerre d’Afrique, contenait la « civilisation ». Mais cela n’a jamais masqué le vil racisme et le capitalisme de base qui conduisaient l’armée française à travers le Sahara.
Dans un immense mouvement de tenailles, qui a commencé vers 1830 et s’est terminé à la veille de la Première Guerre mondiale, la France a conquis, lentement mais sûrement, la plus grande partie de l’Afrique de l’Ouest et de l’Afrique centrale. Partant vers l’est de Dakar et vers le sud depuis l’Algérie, l’armée française a probablement volé 40% du continent.
Cependant, alors que la « France » était en route pour terroriser l’Afrique, Paris a rencontré sa Nemesis : Berlin. La puissance teutonne s’est réveillée et a, ironie de l’histoire, commencé à faire à la France ce que la France était en train de faire à l’Afrique. Dans une série de guerres et d’occupations (1871, 1914 et 1940), l’Allemagne a écrasé sans pitié la place de la France dans le monde. Et en 1960, plus ou moins, la France était hors d’Afrique. Et mûre pour la révolution. Ou la contre-révolution.
La Cinquième République ne pouvait dissimuler l’échec de la France bourgeoise. Mai 1968 l’a exposé aux yeux de tous et l’a contrainte à choisir une voie ou une autre. Elle pouvait suivre l’exemple de l’Afrique et tenter de se libérer de la culture, de l’économie et de la politique de l’impérialisme. Ou elle pouvait tenter de restaurer l’impérialisme. Et reconquérir l’Afrique.
La Cinquième République a choisi la deuxième solution. Et cela a été depuis lors un mouvement descendant. L’important Parti communiste français a été rejeté (le Parti socialiste aussi, pour finir). Comme l’a été Jean-Paul Sartre. La médiocrité bourgeoise est devenue la règle. Et dans les années 2000, des politiciens comme Nicolas Sarkozy et des philosophes comme Bernard-Henri Lévy étaient prêts à ramener la France dans les bras de l’OTAN (De Gaulle avait fait sortir la France de l’OTAN en 1966) et de son impérialisme sans voile.
La France n’était plus une force européenne mais une farce européenne. Le néolibéralisme allemand dominait le nouveau siècle européen. La France ne pouvait rien faire d’autre que de se prosterner devant Berlin et sa religion diabolique : l’austérité (le travail bon marché). Il y avait cependant un endroit où la France pouvait agir comme la « France », un endroit où elle pouvait échapper à la « volonté de puissance » de l’Allemagne : l’Afrique.
La « volonté de pouvoir » de la France avait encore un sale tour dans sa manche : son armée en Afrique. Lorsqu’elle s’est retirée du continent africain dans les années 1950 et 1960, elle a laissé derrière elle des bases militaires actives qui ont continué à lui donner du poids en Afrique. En effet, selon le site Stratfor :
« Après leur indépendance, 12 pays [africains] ont signé des accords secrets de défense nationale avec la France. Les accords, qui n’ont jamais été rendus publics, permettent à la France de maintenir une présence physique dans les pays, en échange de la défense de leur souveraineté nationale [sic]… »
Nous pouvons deviner quels sont les pays qui sont signé ces accords néfastes : le Maroc, le Sénégal, la Mauritanie, le Mali, le Burkina Faso, le Niger, la Tunisie, le Tchad, la Côte d’Ivoire, la République centrafricaine, le Gabon et Djibouti. Quelques autres – selon ceux qui savent – ont été ajoutés plus tard à la liste : le Rwanda, le Burundi et le Zaïre (la République démocratique du Congo). En tout cas, la photo était assez claire : avant de quitter l’Afrique (et même après), la France a, telle une araignée, tissé sa toile autour de l’Afrique.
Que signifient ces arrangements en réalité ? En 2007, le New York Times écrivait que « la France est intervenue militairement en Afrique dix-neuf fois entre 1962 et 1995 ». Et en 2016, Stratfor a recensé 42 interventions françaises entre 1968 et 2013.
Le New York Times fixe significativement la date butoir en 1995, parce qu’en 1994 la France a perdu face aux États-Unis dans la bataille stratégique pour le Rwanda (un million ou plus de Hutus et de Tutsis sont morts dans cette bataille – et des millions ont été tués dans les batailles qui ont suivi au Congo, etc.). Au cours des années qui ont suivi ce tournant dans la géopolitique africaine, la puissance de la France en Afrique a décru de manière décisive – non seulement à cause de la puissance militaire des États-Unis (AFRICOM) mais également à cause de la nouvelle puissance économique chinoise.
Les temps ont changé dans les années 1990. La France perdait les « batailles » pour l’Europe et l’Afrique. Elle devenait une puissance de deuxième ordre. Elle a néanmoins gardé ce tour dans sa manche : les arrangements militaires manifestes et cachés qu’elle avait passés en Afrique. Le doigt de la France était toujours sur la gâchette. La contre-révolution avait désespérément besoin d’un nouveau départ. Et le « Printemps arabe » l’a donné.
Lorsque la Tunisie a commencé à protester en 2010, la France a répondu en offrant sa « puissance militaire » (c’est-à-dire « du soutien technique et du savoir-faire policier ») à son agent en Tunisie : Ben Ali. Et lorsque cette tentative de réprimer l’indépendance africaine a échoué, la France a mené les guerres contre l’indépendance de la Libye en 2011 (Opération Harmattan) et la revendication d’indépendance de l’Azawad (Opération Serval au nord du Mali, etc.) en 2013.
En 2014, la situation était telle que Newsweek a affirmé que « la France est lentement en train de récupérer son ancien Empire africain ». Et en 2015, Business Insider rapportait que « l’armée française est partout en Afrique ». Des milliers de soldats français ont été dispersés dans tout le Sahara et au-delà (Opération Barkhane). Mais le fait est qu’ils ne luttaient pas pour sauver l’Afrique, mais la « France ».
La pathétique tentative de restaurer la France bourgeoise (osons dire la France des Bourbons – parce qu’elle est si mal en Europe en ce moment) a atteint le stade où l’armée français est non seulement partout en Afrique mais également partout en France (Opération Sentinelle). En 2015 – après des attaques à main armée à Paris – l’armée française a commencé à occuper les rues. Puis en 2017, le président Macron (le dauphin ? – le prince ?) est monté sur un « tank » pour son investiture.
Dans l’économie française non compétitive (en termes bourgeois), le seul concurrent semblait être l’armée française. Elle occupait et occupe les deux côtés de la Méditerranée francophone. Et Macron applaudissait et applaudit. Et il offre des baisses d’impôts et du travail bon marché à la bourgeoisie décrépite, il offre aux militaires la liberté des rues. Et la liberté de l’Afrique.
Macron prétend ne pas dire aux Africains ce qu’ils doivent faire. Mais l’État français c’est une autre affaire. Il a institutionnalisé les relations entre la France et l’Afrique (la Françafrique). Et il refuse de renoncer à ses délires de grandeur. Ces dernières années, il a dit à l’Afrique en termes très clairs ce qu’il doit faire avec la Libye et l’Azawad (le Nord-Mali et ses environs). Et aujourd’hui il rassemble les forces africaines (G5 Sahel) alors qu’elles poursuivent des ombres au Sahara.
Pour Macron, l’histoire, c’est les « djihadistes » et les « trafiquants d’êtres humains ». Mais le néocolonialisme est le but ultime. Ou la véritable histoire, c’est que les Français tentent de recréer le néocolonialisme. Les militaires français sont les serres de l’État français. Et tandis que la France bourgeoise s’éteint, ou glisse dans le trou de mémoire de l’histoire, ses serres vont creuser profondément dans tout le matériau à portée de main, dans un effort désespéré d’éviter l’inévitable. L’Afrique est ce matériau, le matériau du futur. Alors que la France, en dépit de ses machinations, n’est qu’une épave.
Le peuple du Burkina Faso a raison de remettre en question la présence de l’armée française en Afrique. Il en sait plus que l’infantile président français. Et il a un plus grand sens des réalités que le sénile État français. Les grenades à main ont plus de sens que les applaudissements.
Aidan O’Brien
Traduction faite par Le Saker Francophone