Les dirigeants africains doivent savoir que le discours de leurs collègues occidentaux a toujours été incohérent.
Nous ne pouvons qu’espérer que cette crise rappellera à l’Afrique que la sous-traitance des attributs de son indépendance économique à d’autres est une erreur.
« Le temps du monde fini commence. »
Cette idée du poète français Paul Valéry reflète fidèlement l’atmosphère de la fin d’une époque qui enveloppe la planète alors que le bilan de la pandémie COVID-19 se fait sentir.
L’Afrique n’est pas à l’abri de la panique, bien que le sentiment soit plus fréquemment observé parmi l’élite urbaine mondialisée du continent que parmi les populations rurales. Ces derniers, généralement exclus du développement, ne savent que trop bien qu’en dépit de la dangerosité du coronavirus, il ne causera pas autant de décès en Afrique que le fléau du paludisme.
Le FMI change radicalement, devenant plus keynésien que jamais
Pourtant, le paludisme n’a jamais conduit de nombreux dirigeants africains à déclarer l’état d’urgence ou à appeler à une «réponse coordonnée», car ils sont plus désireux de perroqueter la sémantique belliqueuse de leurs pairs occidentaux, avec un mimétisme qui frise le ridicule, que d’être attentif aux besoins essentiels de leurs populations.
Quoi qu’il en soit, la pandémie de coronavirus a le potentiel, si nous acceptons d’apprendre de son impact encore mal évalué, de provoquer un changement de perspective bienvenu quant aux politiques économiques que l’Afrique devrait adopter, à court et à moyen terme.
À court terme, les annonces concernant les ressources mobilisées sont vertigineuses: 3 milliards de dollars aux États-Unis, 2,5 milliards d’euros (2,8 milliards de dollars) en Europe et plus de 450 milliards de francs CFA (756 millions de dollars) de la Banque centrale des États de l’Afrique de L’Ouest , un exploit remarquable pour un régulateur financier peu habitué à tant d’extravagance en matière de création monétaire.
Même le FMI poursuit son virage intellectuel, devenant plus keynésien à chaque crise majeure que les disciples les plus orthodoxes de l’économiste britannique John Maynard Keynes, prêts à injecter des sommes astronomiques dans l’économie mondiale.
Un cruel déficit de financement des activités génératrices de revenus
Ces mesures contracycliques sont d’autant plus appréciées en Afrique que ses économies sont cruellement affectées par un déficit de financement des activités génératrices de revenus et une baisse massive de la demande mondiale. Le continent est confronté à des conséquences telles que la chute des prix du pétrole, désormais inférieur à 25 dollars le baril, et la fin d’une forme mondialisée de tourisme, comme l’ont confirmé les fermetures de frontières généralisées.
L’Afrique, déjà vulnérable aux risques de surendettement, subit de plein fouet ce choc à la demande mondiale. Trois de ses six principales économies (Algérie, Angola, Égypte, Maroc, Nigéria et Afrique du Sud, soit 65% du PIB du continent) dépendent fortement du pétrole (Algérie, Angola et Nigéria).
Dans la zone franc CFA d’Afrique centrale, les pays connaîtront un ralentissement à égalité avec celui de 2015-2016, ce qui a ravivé les craintes d’une dévaluation du franc CFA similaire à celle observée au second semestre 2016.
Renoncer au discours néolibéral adopté par les prêteurs
Cette période représente peut-être une occasion extraordinaire pour le continent de renoncer au discours néolibéral adopté par les prêteurs, ce qui nous a conduit à négliger de construire des États dignes de ce nom et des secteurs clés (santé, éducation, etc.) dans le cadre des programmes d’ajustement structurel et leurs nombreux avatars récents.
Tu ne devrais pas dormir sur les tapis des autres, c’est comme dormir sur le sol
Nos dirigeants doivent savoir que le discours de leurs collègues occidentaux est – et a toujours été – incohérent. Aujourd’hui, les gardiens intransigeants de l’austérité sont soudainement plus pragmatiques et loin de faire leurs discours habituels sur l’urgence d’un «budget équilibré» et d’une «stabilité monétaire».
Trouver une réponse structurelle aux défis du développement
Pour l’Afrique, la principale leçon à moyen terme de la crise des coronavirus est la suivante: le continent restera vulnérable aux chocs extérieurs tant qu’il s’abstiendra de trouver une réponse structurelle à ses défis de développement. Une chose est claire: la perpétuation de la sur-implication du continent dans le secteur primaire du commerce international – c’est-à-dire que l’Afrique se limite à exporter des matières premières vers le reste du monde et attend passivement en retour de recevoir les ressources financières volatiles qui des économies plus rentables – est vraiment toxique.
Transformation des matières premières à domicile
Ce dont l’Afrique a vraiment besoin, c’est de traiter les matières premières sur place, qui sont à elles seules capables de créer de la valeur et des emplois et de diversifier la base productive des économies. Par sa propre production, l’Afrique pourra approvisionner son futur marché intérieur de plus de deux milliards d’habitants et réduire sa dépendance vis-à-vis du reste du monde.
L’historien burkinabé Joseph Ki-Zerbo a déclaré: « Vous ne devriez pas dormir sur les nattes des autres, car c’est comme dormir sur le sol. »
Aujourd’hui, l’Afrique est sur le terrain et attend pour la énième fois que le reste du monde vienne à son secours. Espérons que l’Afrique pourra se relever d’elle-même et comprendre enfin qu’elle ne pourra pas sous-traiter indéfiniment tous les attributs de son indépendance économique.
Kako Nubukpo
Économiste, ancien ministre de la stratégie à long terme et de l’évaluation des politiques publiques du Togo et ancien directeur économique et numérique de l’Organisation internationale de la Francophonie