Meurtres et pillages généralisés perpétrés par les Forces républicaines
Les affrontements armés qui se sont produits dans l’extrême ouest de la Côte d’Ivoire entre les forces pro-Ouattara et pro-Gbagbo ont débuté le 25 février autour de la ville de Zouan-Hounien. Après s’être emparées rapidement de Zouan-Hounien et de Bin-Houyé le long de la frontière libérienne fin février, les Forces républicaines de Ouattara, placées sous le commandement général de Soro, ont fait face à une résistance beaucoup plus importante à Toulepleu, Doké, Bloléquin et Duékoué. Le 10 mars, Soro a proclamé le Commandant Fofana Losséni chef de la « pacification de l’extrême ouest » pour les Forces républicaines, avec pour mandat de « protéger les populations au nom du gouvernement Ouattara ». Des témoins et des représentants de Ouattara ont également identifié le Capitaine Eddie Medi comme étant le chef de l’offensive militaire menée en particulier autour de Toulepleu et de Bloléquin.
Alors que les combats faisaient rage à l’intérieur et aux alentours de ces villes pendant tout le mois de mars, les Forces républicaines ont systématiquement pris pour cible les civils présumés pro-Gbagbo, malgré les déclarations publiques répétées des porte-parole de Soro et de Ouattara soulignant que leurs attaques ne visaient que les forces armées pro-Gbagbo. Les visites effectuées par Soro aux Forces républicaines à Toulepleu les 9 et 10 mars ne semblent pas avoir réduit le nombre de leurs exactions.
Human Rights Watch a recueilli des informations sur les meurtres de civils commis par les forces pro-Ouattara dans une dizaine de villages au moins autour de Toulepleu et Bloléquin et dans ces localités, notamment des exécutions sommaires, des actes de mutilation et des immolations. Bien que la majorité des habitants guérés de la région aient fui en prévision de l’attaque menée par les Forces républicaines, ceux qui sont restés ont été soumis à un châtiment collectif pour le soutien présumé de leur groupe à Gbagbo.
Un Guéré de 57 ans originaire de Zoguiné, village situé entre Toulepleu et le poste-frontière officiel ivoiro-libérien tout proche, a expliqué à Human Rights Watch que les Forces républicaines avaient tué un paysan qui rentrait chez lui à pied, mis le feu à la maison de sa mère, la brûlant vive, et détruit son village :
Les rebelles[1] sont arrivés dans mon village le lundi 7 mars, à 10h00 du matin. Les femmes du village avaient déjà fui dès qu’elles avaient appris que Toulepleu avait été attaquée. Mais ma mère est restée parce qu’elle n’était pas capable de s’enfuir, et puis, il y avait 14 hommes qui sont restés aussi. La plupart d’entre nous étaient au village mais l’un de nous était dans ses champs en dehors du village.
Sept rebelles sont arrivés. Lorsqu’on a entendu les coups de feu, on s’est tous enfuis dans la brousse pour se cacher. Mais l’homme qui était dans sa plantation ne savait pas qu’ils étaient arrivés. Il est revenu chez lui et à ce moment-là, ils lui ont tiré dessus et l’ont touché au genou, ce qui fait qu’il ne pouvait plus marcher. Ils étaient tous en tenue militaire et portaient des foulards blancs sur la tête. Certains s’étaient barbouillés le visage avec du charbon ; d’autres s’étaient mis de la peinture rouge.
Les autres, on était tous cachés dans la brousse et on regardait tout à une distance de 100, peut-être 200 mètres. Ils lui ont tiré dans le genou avec une Kalache [fusil d’assaut « Kalachnikov » AK-47] à environ 10-20 mètres. Ils se sont dirigés vers lui après ce premier coup de feu et l’ont mis en joue avec leurs fusils. Puis [notre voisin] nous a crié : « Sortez de la brousse ! Ce ne sont pas les rebelles qui sont venus. Ce sont nos protecteurs [les troupes pro-Gbagbo]. » Ils ont essayé de nous piéger. Mais on pouvait les voir, on pouvait les voir avec leurs fusils pointés sur lui. Donc, on n’a pas bougé. Après deux minutes, ils ont dû se rendre compte qu’on n’allait pas revenir. Ils ont mis le feu à sa maison, et puis, ils l’ont attrapé à plusieurs et l’ont traîné par terre. Ils ont dû le traîner sur 85 mètres, l’emmenant vers la route principale qui traverse le village. Ensuite, ils l’ont abattu à bout portant et l’ont éventré avec un long couteau. Ils ont laissé son corps là.
Puis, ils sont retournés au village et ont commencé à rentrer dans toutes les maisons. Ils ont fouillé celles situées près de la route et ont emporté toutes les choses de valeur. Ils ont mis le feu aux maisons qui avaient un toit de paille. Ma mère était âgée et malade et ne pouvait pas quitter son lit. Ils ont brûlé sa maison avec elle encore à l’intérieur. J’ai trouvé son corps carbonisé plus tard, après leur départ. Je les ai regardés brûler ma maison après avoir tout volé. Comme ils étaient venus au village à pied, ils ont amassé tous les objets le long de la route principale. Puis, ils ont appelé leurs compagnons qui sont arrivés dans un camion-cargo militaire pour tout emporter. Ils ont pris des téléviseurs, des radios, toutes les choses sur lesquelles ils ont pu mettre la main. Ils ont massacré tous nos animaux – en ouvrant simplement le feu sur eux avec leurs Kalaches – avant de monter dans le camion.
Dans quelques villes et villages, les Forces républicaines sont arrivées plus tôt que prévu, avant que la plupart des habitants n’aient pu fuir, et elles ont fréquemment ouvert le feu alors que la population en panique cherchait à se réfugier dans la brousse avoisinante. Human Rights Watch a recueilli des informations sur des dizaines de meurtres survenus dans ces circonstances à Toulepleu, Diboké, Doké et Bloléquin.
Des témoins ont déclaré que les forces pro-Ouattara allaient de maison en maison après s’être emparées d’un village, tuant bon nombre de ceux qui étaient restés. Une habitante de Diboké âgée de 23 ans a déclaré à Human Rights Watch que des combattants des Forces républicaines étaient entrés chez elle et avaient tué sa mère, son père et son frère cadet. Elle s’était échappée par une fenêtre, trouvant finalement refuge au Libéria. Une femme de 25 ans de Bloléquin s’est cachée sous son lit lorsque les forces pro-Ouattara ont pénétré chez elles et ont tué sa sœur âgée de 20 ans. Dans au moins quatre cas sur lesquels Human Rights Watch a recueilli des informations, les victimes ont eu des parties de leurs bras tranchés et ont ensuite été éventrées à l’aide de longs couteaux – deux alors qu’elles étaient encore vivantes, deux autres après avoir été abattues.
Après avoir commis ces actes dans plusieurs villes et villages, certains soldats des Forces républicaines se sont déployés à pied sur les plus petites routes dans des zones où les habitants travaillent dans leurs plantations de cacao – tuant d’autres personnes qui croyaient avoir trouvé refuge dans un endroit sûr. Une femme de 47 ans a décrit à Human Rights Watch ce qui s’est produit dans l’une de ces circonstances :
Lorsqu’on a appris que les rebelles arrivaient, ma famille a trouvé refuge dans notre campement (petite plantation de cacao). C’est à deux kilomètres à l’extérieur de Doké, sur une route seulement accessible à pied ou à moto. On pensait qu’on y serait en sécurité, même s’il y avait des combats en ville. Le 16 mars, j’étais avec mon père, mon mari et mon fils de 10 ans. Ma sœur et ses enfants étaient là aussi. On était en train de préparer à manger lorsque deux rebelles sont tombés sur nous dans la brousse. L’un d’eux portait un camouflage militaire complet avec un foulard blanc ; l’autre portait un pantalon militaire et un t-shirt noir. Peut-être avaient-ils vu le feu et c’est comme cela qu’ils nous ont trouvés.
C’est moi qu’ils ont vu en premier lieu et ils ont tiré sur moi à 20 ou 30 mètres de distance. Je suis tombée par terre et j’ai fait semblant d’être morte. Ils ne m’avaient pas touchée. Puis, ils ont vu les autres et se sont dirigés vers eux. Ils ont à nouveau ouvert le feu et ils ont tué ma famille – mon fils, mon mari et mon père, ils ont tous été tués. Ils tiraient avec des grands fusils, des fusils qui tiraient vite, du genre « tacatac ». Je gisais là par terre, j’ai vu quand mon fils s’est écroulé, mort, mais je ne pouvais pas pleurer. Si j’avais pleuré, ils auraient su que j’étais encore vivante et ils m’auraient tuée. Mais pourquoi suis-je encore vivante ? Ils ont pris mon fils, mon mari et mon père. Je n’ai plus rien. Je ne suis plus en vie de toute façon.
Ils sont repartis et après un petit temps, je me suis levée et j’ai regardé les corps. Du sang avait coulé par terre, mais aucun d’eux ne bougeait encore. Mon fils avait reçu deux balles, l’une dans la poitrine, l’autre dans le ventre. Je l’ai pris dans mes bras et j’ai pleuré en silence. Puis ma sœur est sortie de sa cachette – lorsque les rebelles sont arrivés, ils se trouvaient à une petite distance et avaient réussi à se cacher dans la brousse – et elle a dit qu’il fallait partir.
On s’est dirigés vers Bloléquin, mais quand on est arrivés là, on a appris dans la brousse que les rebelles s’étaient emparés de la ville. Alors on a traversé la brousse en direction de Guiglo. Une fois arrivés là, on a découvert que les troupes loyalistes étaient parties, alors on a de nouveau pris la fuite, cette fois en direction de Tai. On a parcouru 20 kilomètres sur la piste de brousse avant de traverser la frontière libérienne en pirogue.
Des dizaines de témoins ont expliqué à Human Rights Watch qu’après avoir tué sommairement les civils guérés trouvés dans un village, les Forces républicaines se livraient souvent au pillage avant de mettre le feu aux maisons. Human Rights Watch a recueilli des informations sur l’incendie partiel d’au moins 10 villages guérés autour de Toulepleu et de Bloléquin. Plusieurs témoins ont signalé à Human Rights Watch qu’alors qu’ils étaient cachés dans la brousse, ils avaient vu les forces pro-Ouattara mettre le feu aux structures utilisées pour stocker le riz et les semences de riz du village.
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Ne pas oublier que HWI et Amnesty soutenaient Ouattara dans la crise post-électorale.
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